«Ne faisons pas sauter le verrou qui lie grossesse, corps de la femme et maternité»

PROPOS RECUEILLIS PAR JOSÉPHINE BATAILLE

CRÉÉ LE 10/02/2015 / MODIFIÉ LE 10/02/2015 À 12H02© NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Pourquoi le médecin que vous êtes souhaite-t-il s’engager sur le thème de la GPA ?

Le débat sur la GPA est présenté comme essentiellement éthique, politique, psychanalytique. On nous parle d’apprendre à redéfinir ce qu’est ce qu’une mère. Très bien. Mais pourquoi, en tant que praticiens, spécialistes de la maternité, les gynécologues ne sont-ils pas invités au débat ? Je veux dire que nous avons une expérience de la maternité, et quelle elle est. Ce que j’ai appris de la grossesse je l’ai appris en relation avec les néo natologistes, les psychiatres, les pédiatres, mais surtout avec les mères ; je l’ai appris jour, nuit et week-end, pendant 25 ans. Nous médecins, ne pouvons pas nous laisser réduire à être de simples prestataires de service non pensants ! D’autant plus que ce sont nous qui serions supposés mettre en Å“uvre et suivre ces gestations pour autrui.

Qu’est-ce qui vous paraît significatif, dans l’expérience de la grossesse ?

La première interrogation pour le médecin, c’est de comprendre comment la grossesse est possible, alors que le fÅ“tus, dans le ventre de la femme, apparaît comme une greffe « semi allogénique », c’est à dire qu’il est pour moitié génétiquement différent de la femme qui le porte. Cela n’est possible que par l’intermédiaire du placenta, qui met en place un état de tolérance immunitaire exceptionnel. Dès lors, il se produit des échanges à travers cette membrane. De cellules, mais aussi du patrimoine génétique de l’un et l’autre. C’est d’ailleurs pour cela qu’on peut procéder, à partir d’une prise de sang de la mère, à des diagnostics sur le fÅ“tus : il y a de l’ADN du fÅ“tus qui y circule. Par ailleurs le fÅ“tus transmet des cellules à sa mère, c’est ce qu’on appelle le « micro-chimérisme » foetal. C’est ainsi que la femme portera à vie la trace de cet enfant, qui lui est partiellement étranger. Cela aura des implications sur son système immunitaire, souvent positives, mais aussi potentiellement négatives – avec révélation de maladies auto-immunes. Ainsi la grossesse n’est pas un événement abstrait, une parenthèse ; et je rappellerai que cela reste toujours un événement dangereux : en France, pour 100 000 naissances, il y a encore une dizaine de femmes qui décèdent en couches.

Au delà de ces aspects biologiques, que peut dire le médecin de la dimension relationnelle inhérente à la grossesse ?

Les chercheurs ont mis à jour que le fÅ“tus était un être à la sensorialité très développée, ce qui fonde des échanges d’une grande intensité avec la mère. Le fÅ“tus n’est donc pas simplement porté, ou transporté par une femme. Leur relation va laisser aux deux protagonistes une empreinte indélébile, et va affecter également tout leur entourage. Il faut avoir vu l’enfant ramper sur le ventre de sa mère pour sa première tétée, ou l’avoir vu se calmer lorsqu’on lui fait entendre le battement du cÅ“ur de sa mère – et cela fonctionne avec elle seule -, pour percevoir que c’est le fruit de mois entiers de relation, d’échanges, et de cohabitation. Dans la procréation assistée avec don d’ovocyte, on mesure combien la grossesse a permis à la femme de transcender le don et a fait d’elle la mère. Il faut avoir vu quelles peuvent être les conséquences post-partum, pour percevoir quelle peut par ailleurs en être l’empreinte psychique. Et avoir rencontré des dénis de grossesse pour appréhender à quel chaos peut mener une grossesse qui n’a pas été investie psychiquement. Je ne pense pas qu’il soit neutre, pour la femme comme pour l’enfant, de réaliser une sorte de déni de grossesse conscient et organisé. Je ne vois pas comment je pourrais expliquer à certaines de mes patients que la grossesse va les rendre mères, et à d’autres qu’elles n’en seront en rien affectées. La grossesse est une expérience radicale !

> A lire aussi : La France peut-elle lutter contre les mères porteuses ?

Face à certaines stérilités, avez-vous déjà envisagé la GPA comme une alternative possible ?

Je me souviendrai toujours de cette femme, alors que j’étais jeune praticien, qui arrivait, à 35 ans, pour sa 2e grossesse, et dont j’ai découvert à l’examen que le placenta avait traversé l’utérus, et s’était même infiltré dans la vessie. Un double couperet : cela mettait en jeu son avenir reproductif, mais aussi sa vie. Cette pathologie est connue. J’ai dû lui enlever son utérus. Après, il m’a fallu aller lui expliquer que j’avais été obligé de l’amputer, et de la priver définitivement de toute possibilité de procréation ultérieure. Dans une sorte de toute-puissance chirurgicale, sans doute, je me suis senti obligé de lui désigner une porte de sortie, une issue pour permettre à son désir d’enfant de rester vivant. Je l’ai informé qu’il existait, aux Etats-Unis, des agences qui lui permettraient de rencontrer une mère porteuse. Heureusement ce n’est pas, dans son discernement personnel, le choix qu’elle a fait. La toute-puissance potentielle du désir de soigner a toujours été encadré par la loi : il l’est relativement à l’IVG, à la procréation assistée, au diagnostic pré-natal etc. Il doit continuer à l’être en maintenant l’interdit de la gestation pour autrui.

La GPA était-elle une étape inéluctable du développement de la médecine de la procréation ?

La GPA n’est pas une innovation ou une technique médicale, c’est une pratique sociale – elle existait avant la procréation médicalement assistée, simplement on inséminait une femme qui se retrouvait donc aussi la mère génétique. Il faut bien comprendre que ce n’est pas une façon de libérer la femme des contraintes de la grossesse, puisque ça suppose l’asservissement d’autres femmes à ces mêmes contraintes. On parle de don de grossesse. Mais on évite soigneusement de penser le lieu de cette grossesse, qui est le corps de femmes. Parler de « gestation » et « d’altruisme » est un artifice sémantique pour occulter qu’il s’agit d’une grossesse et d’un accouchement que doit suivre l’abandon d’un nouveau-né. Or il faut être conscient que la GPA, c’est aussi un marché. L’utérus est la pièce manquante d’une chaîne industrielle visant pour des parents à produire des enfants à partir de leurs propres gamètes, donc avec leurs propres gènes. Car on favorise à outrance la transmission génétique. Cela ne me semble pas un hasard si c’est en Californie que se déroulent à la fois les GPA et la recherche sur le transhumanisme. Alors, si on fait sauter le verrou que constitue le lien entre la grossesse, le corps d’une femme et la maternité, ce sera la voie vers le plein capitalisme : délocalisation et optimisation du produit.